LA POÉSIE ET MOI

Miguel Oscar Menassa

 

BALBUTIER

Balbutier
quand il ne reste plus d'autre chemin
balbutier
même petit à petit
commencer à dire.

D'abord un mot solitaire
après le mot
viendra le souvenir
et les mots du souvenir
qui nous rappellent le mot.

Tremblant
pleurant
pleins de peur
ne pas cesser de dire.

J'ai commencé à tomber
et par une ruse du destin
je me voyais tomber.

Parfois
je tombais comme la neige
lentement
plus que tomber
le véritable jeu était de voler.

Olympique glace cotonneuse
je me posais sur les âmes
et dans l'obscure passion
des rencontres
un instant j'étais moi
ensuite autre chose.

Parfois voler c'était tomber
violemment
contre le néant
contre la terre
contre une femme.
Pierre
grêle qui serpente
je tombais sans arrêt.
Chaleur endurcie
vertige d'arriver à la fin
je traversais tous les confins.
Bête condamnée à mourir
je traversais l'âme.

J'ai été libre autant que j'ai voulu.

De tant de liberté
je me suis rempli les mains
et les yeux
de violentes misères.

La solitude et la faim
dans chaque liberté
prenaient possession de mon esprit
et je ruminais la liberté
comme si la liberté
était une pâture sauvage
et moi un fauve.

Liberté inutile liberté
je mordais une fois de plus ce vide
et sortais dans la rue
et les marchands me regardaient
d'un mauvais oeil
et quelques amis me disaient:

Tu es en train de maigrir
si tu continues comme ça
ça t'amènera au silence
et un après-midi tu mourras.

Mort
je les regardais
abêti, sans comprendre.
Ils ont enveloppé mon corps
dans des vêtements délicats
comme jamais personne ne m'en avait vu
et ils se criaient les uns aux autres:

La liberté vivait en lui.
La liberté est morte.

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